Close Lukas Dhont / 2022

Léo et Rémi, 13 ans, sont amis depuis toujours. Mais à la rentrée des classes, le regard des autres jeunes adolescents va déteriorer leur relation…

Quelques spoilers.
 

Close raconte, c’est son sujet “officiel”, la manière dont la culture de la virilité va détruire la relation entre deux enfants, lors d’une rentrée au collège. Mais ce que la forme du film raconte, au-delà du diaporama instagram auquel on l’a réduite un peu vite, c’est aussi autre chose : la façon dont le monde fusionnel, le monde uni, plein et chantant de l’enfance, va devoir vivre l’arrachement de l’entrée dans l’adolescence – à commencer par la séparation de ces deux corps, qui vont devoir apprendre à évoluer indépendamment l’un de l’autre.

L’image de ce champ de fleurs qui défile en ouverture, lors de la course euphorique des deux enfants sur une musique fragile1, n’est alors pas tant intéressante parce que “jolie”, ou idyllique, que parce qu’elle peint un simple sentiment de gamin (le caractère fusionnel des amitiés d’alors) avec une ampleur formelle qui lui confère une majesté, une importance, qui semble en faire tout un royaume. Cette manière dont la chambre rouge où l’on dort l’un contre l’autre joue l’espace utérin total, cette contemplation pleine et entière de l’autre lors du concert… Le film a trouvé dans cette forme circulaire et sans scorie2 un moyen d’exprimer la plénitude de cet âge, un moyen de peindre cette relation toute unie et mélangée (union primale “d’avant la société”, qui n’a pas encore eu à se déterminer – amicale, amoureuse, fraternelle…). La faible profondeur de champ permet alors d’expérimenter cet univers sous l’angle sensoriel (là encore, une approche liée à l’enfance : tout absorber, tout vivre pleinement), et la décrépitude du film dans l’automne puis l’hiver, ces fleurs qu’on détruit, se vivent moins comme des allégories froides que comme le flétrissement visuel d’un monde-bulle qui se fane.

Le film, pourtant, à son premier tiers, fait quelque chose d’impardonnable. Mis devant la difficulté de décrire le lent délitement de l’enfance (la douleur intense dont l’adolescence vit ce genre d’arrachements, les proportions énormes que ces séparations prennent à cet âge…), Lukas Dhont utilise soudain un bulldozer pour ouvrir un porte. À partir de là, impossible de le suivre, le récit ayant abandonné l’expérience universelle pour verser dans l’anecdote et le mélodrame qui n’a rien d’autre à raconter que la culpabilité (injuste, forcément) de son petit héros, qui doit expier en silence. La fragilité du scénario, trop souvent expédié en scènes d’impros fragiles, ce qui était déjà sensible en ouverture (au risque de ne pas tout à fait croire à l’amitié entre ces deux enfants), vire alors au pur remplissage, voire à la torture (« Tu veux de l’eau ? Oui. Rien d’autre t’es sûr ? Non. T’en veux pas encore ? Non sinon je vais faire pipi. Mais tu peux utiliser nos toilettes tu sais… » : ayons une pensée pour les scénaristes qui se sont fait hara-kiri dans la salle).

Si la description pas à pas d’un travail de deuil n’est pas sans intérêt (notamment pour ce qu’il offre de l’excellent jeu de Drucker et de Dequenne), ce cheminement semble n’avoir d’autre but que de faire porter sur les frêles épaules d’un gamin la responsabilité entière de la masculinité toxique. Le film ne parvient même pas à explorer correctement la quête de virilité (tout ce qui reste au personnage, ce pour quoi il a abandonné son royaume), qui pourrait esquisser le portrait d’un passage désenchanté à l’âge adulte : la masculinité est ici résumée à des scènes de hockey redondantes, le film étant uniquement concentré sur la révélation et l’aveu à venir. Lorsque celui-ci arrive, ne s’appuyant une fois de plus que sur des pleurs en cascade, le spectateur ne peut plus suivre, et même les quelques bonnes idées restantes (le bâton pour se défendre, la maison colorée de l’enfance vidée qu’on visite comme un souvenir…) ne peuvent plus fonctionner.

À ce stade, oui la caméra n’a plus rien à mettre en scène, le flou joli ne fait que pallier l’absence de plans, et les fleurs ne sont plus que décoratives. Close laisse le sentiment d’un immense gâchis, vis-à-vis de son sujet (que Dhont a démissionné à réellement traiter), comme au regard de ce qu’il avait initialement réussi… Il est rare d’avoir autant l’impression de passer à côté d’un grand film.

 
 

Notes

1 • J’ai l’impression que la critique est passée à côté de la musique, injustement résumée à des violons mélodramatiques visant à faire pleurer dans les chaumières. Dans cette première partie, elle est pourtant l’une des plus belles propositions de bande-originale que j’ai pu entendre cette année : musique qui souffle plus qu’elle ne joue ses instruments à vent, déjà triste et mélancolique alors qu’elle peint la félicité, parfois plus sombre et étrange (ces remous graves sur le second morceau), comme parlant déjà d’un autre monde… Il y a ici une proposition précise, qui participe pleinement à la singularité de la vision que Lukas Dhont sait construire de ces premiers moments fusionnels.

2 • C’est une belle idée à ce titre que d’avoir choisi pour cadre des producteurs de fleurs, parce que c’est une image trop outrée, trop évidente, pour être juste vécue comme jolie : le jardin d’Eden de l’enfance est ici littéral, sans détour, sans armure ni défense, sans résistance. Il y a d’ailleurs quelque chose d’étrange voire d’un peu cruel à y baigner constamment le petit héros aspirant viril.
 

Réactions sur “Close Lukas Dhont / 2022

  1. Pour ma part j’ai passé tout le film à me demander ce qui ne fonctionnait pas en dépit d’un talent et de qualités évidentes. Pour moi une partie de la réponse tient dans le casting et le parti pris de Dhont de coller intégralement au point du vue de Léo. Ce n’est pas que le jeune acteur ne soit pas bon, mais il échoue à porter le poids du film à lui seul. Le réalisateur semble hypnotisé par sa gueule d’ange et asphyxie son film pour elle. J’espérais que dans la 2e partie (que je ne trouve pas si mauvaise, en tout cas pas si inférieure à la 1ère que ce que j’ai lu), il serait un peu “sali” : filmé de plus loin, dans un autre type de lumière, avec plus de dureté… il n’en est rien. De mon point de vue (et je pense que tu seras en désaccord avec ça) les meilleurs moments du film sont logiquement les scènes avec les adultes, parce qu’on se décolle un peu de lui ce qui nous sort d’une tonalité monotone (ou monochrome) : l’annonce de la mort de Rémi, le malaise du repas avec le père qui craque peu à peu… d’où le fait que pour moi, cette 2e partie qui tourne à vide recèle finalement plus d’intérêt que la 1ère, pourtant plus cohérente et mieux investie.

  2. Ça m’embête, j’arrive pas à trouver les bons termes pour définir ce que j’ai trouvé de si singulier dans cette 1ère partie (un côté “rond” / “total” / “primal”…), j’ai modifié le paragraphe concerné 50 fois avant de jeter l’éponge. Je viens d’entendre une journaliste au Masque parler de “monde d’avant le mot”, je trouve ça assez bien vu.

    Je suis pas en désaccord pour les adultes, pour une raison toute con : Dequenne et Drucker (+ le mari, dans sa seule scène mais il y est excellent) sont un plaisir de jeu à regarder, on boit du petit lait. Comme le film a rien à raconter quoiqu’il en soit, forcément leur moments à l’écran ressortent. Mais après, je trouve pas leur personnages (en tant qu’adultes) spécialement plus écrits que le gamin, et ça revient tout de même à remuer le vide.

    Je suis un peu surpris pour l’idée de l’idéalisation (“gueule d’ange”) du héros : j’ai trouvé justement que le casting avait choisi un gamin avec un côté un peu pincé voire sournois, quelque chose de pas évident, c’était potentiellement intéressant vu le pitch amer. Mais la 2è partie ne sait effectivement pas quoi trop comment se reconfigurer pour le filmer. Disons que là où tu vois de l’hypnose/idéalisation, je vois surtout un réal qui a ce moment-là sait plus trop ce qu’il filme, ou ce qu’il a à dire, et qui se contente de captations en jolies vignettes.

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