Antonio Das Mortes

Antonio Das Mortes Glauber Rocha / 1969

On demande à Antonio Das Mortes, ex-tueur à gages, d’abattre publiquement un homme, Coreira, qui commence à trop agiter les foules…

 

Rocha serait-il une fraude, qui a simplement mieux su théoriser son cinéma que les autres ? L’acharnement baroque de Terre en transe, tout en dispersion Wellesienne, laissait la question en suspend : se complaisant dans le spectacle urbain d’un chaos politique, le film se montrait plus apte à épuiser son spectateur qu’à le faire penser.

Ici, l’abstraction des plaines du Sertão promet au moins un geste plus lisible, inventant pour le Brésil un décor assez inspiré (plateau surplombant le pays, comme si quelques dieux jouaient là en miniature, dans une arène de théâtre antique, ce qui agite la nation entière). Il reste que les premiers moments d’Antonio Das Mortes sont pénibles… Le cinéma de Rocha, sans même s’en rendre compte, reproduit tout ce qu’il conspue dans le cinéma brésilien d’alors : la complaisance pathétique à masturber les idoles (Lampião, et la figure de cangaceiro à travers lui), ou le manichéisme, qui prend ici la forme d’un didactisme débilitant (« Moi, partager mes terres avec ces fainéants ? » s’écrie le patron en guise de présentations : quand bien même Rocha filme des concepts plus que des personnes, son film a la subtilité d’une pièce de théâtre sous Mao). D’où ces protagonistes figés à l’image, immobilisés comme les pions d’un raisonnement déjà conclu : rien d’autre à expérimenter ici que l’illustration d’un propos.

Le film s’offre pourtant un peu d’air sur la longueur, et sait parfois nous surprendre : ces figures symboliques, sans pour autant se faire personnages, semblent peu à peu gagner une vie propre ; elles se font allégories errantes, hébétées et ahuries, abîmées dans des accès de violence. L’étrangeté de certains tableaux, et la liberté du montage (parallélismes, ellipses), permettent quelques court-circuits poétiques, ramenant dans le récit un sens du mystère et de l’ambiguïté. Ces escapades confirment que la véritable aventure d’Antonio Das Mortes est moins ce projet « d’esthétique de la faim », que la première de ses conséquences : le voisinage involontaire du film avec la série Z (pauvreté terminale d’un tournage aux épées plastiques, sérieux de pape et lyrisme ridicule, absurdité des enchaînements) – flirt inattendu qui, à son corps défendant, rend parfois l’ensemble sympathique.

On s’étonne néanmoins, dans ce film censé défendre les intérêts du peuple, de ce que celui-ci devient à l’écran. Rocha souffrait, visiblement, que ses films ne soient ni vus, ni aimés du grand public. Si la naïveté des cinéastes de l’époque sur ce point reste confondante (que pensait-il, qu’il suffit de mettre trois fusils et de faire western pour que les monologues atonaux deviennent soudain captivants ?), le principal souci n’est pas là. C’est que la figure du peuple reste strictement limitée à deux pôles : idéalisé en une transe dansante et joyeuse, encore en contact avec d’archaïques origines (c’est le fantasme Pasolinien), ou bien réduit à un public muet, sommé de s’asseoir sagement pour regarder les symboles discourir. Entre ces deux positions infantilisantes, et hors l’anonymat de la foule, point de salut… Il semble à rebours que l’ouverture du film, qui nous montrait un homme faire la leçon à une congrégation d’enfants (leur faisant patiemment réciter les dates d’une Histoire nationale dont Lampião serait l’aboutissement), résume de manière terrible le rapport du cinéaste à son public populaire absent.

O Dragão da Maldade contra o Santo Guerreiro en VO.

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