Beau travail Claire Denis / 1999

Dans le golfe de Djibouti, un peloton de la Légion étrangère répare les routes et s’entraîne à la guerre…

Quelques spoilers.
 

Ce film de Claire Denis semble aussi adulé par les Anglo-saxons (friands de films-concepts et de réalisatrices) qu’il est aujourd’hui relativement délaissé en France, malgré l’accueil dithyrambique à sa sortie, en plein état de grâce critique de sa cinéaste.

Par-delà les aléas de sa réception, il ne me semble fonctionner que par intermittences. Dans sa première partie, Beau travail peine à dépasser l’impression d’une note d’intention, entrechoquant diverses imageries (discipline post-coloniale, vie de nocturne de Djibouti, jalousie homoérotique) toutes aussi vite jouées et comprises les unes que les autres, et donc sans grande profondeur – d’autant que le regard m’a semblé ici assez étonnamment dénué de désir, la caméra insistant sur les corps comme sur autant d’idées. À l’inverse de l’écueil habituel qui est celui du cinéma de Denis (un cinéma en état de grâce fragile, trop peu nourri, trop économe), les plans riches et chargés s’alignent ici à la queuleuleu, comme un catalogue de visions volontaristes et soulignées (les ballets-entraînement, les embrassades-exercices), enchaînées par un montage étonnamment impatient, et guidé par une voix-off n’aidant pas le mystère à fleurir.

Ces visions, Claire Denis sait néanmoins leur trouver une cohérence : le décor abstrait du désert (comme ces quelques silhouettes de locaux dubitatifs) essentialisent la culture militaire à ce qu’elle est, c’est-à-dire à une absurdité, à une série de rituels au milieu du rien, à un monde qui tient seulement parce “qu’on a dit que” – telles les coutumes indéchiffrables d’une peuplade exotique. Le film gagne également, sur le long, à se doter d’un semblant de récit (le départ avec la légion sous un faux prétexte, Lavant sombrant dans la folie, la vengeance ourdie…) qui décentrent enfin les visions de la cinéaste, alors moins imposées, davantage cueillies à la périphérie du récit, leur permettant plus tranquillement de faire effet et de s’épanouir (notamment dans le devenir salin, c’est-à-dire macabrement pur, de l’aridité ambiante).

La cohérence de cet univers de rêverie légionnaire fait alors le reste, aboutissant à un bon film – quand bien même on est loin, me semble-t-il, du chef-d’œuvre auquel les Américains ont tant crié ces dernières années.
 

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