Seuls les anges ont des ailes Howard Hawks / 1939

En escale à Barranca, petit port bananier d’Amérique du Sud, Bonnie Lee rencontre les pilotes qui assurent le transport du courrier au-dessus de la cordillère des Andes…

Quelques spoilers.
 

Film à la hauteur de sa réputation, Seuls les anges ont des ailes impressionne d’abord par sa grande qualité d’écriture, complexe écheveau où tout s’annonce et se répond, et où aucun personnage, péripétie, ou même objet n’est inutile – comme en atteste la maligne astuce de son final. On y retrouve l’éternelle énergie des films de Hawks, ainsi que cette pente étonnamment suicidaire (également sensible dans His Girl Friday) de personnages absorbés par leur métier comme par une addiction.

Je suis néanmoins un peu surpris d’être gêné, pour une fois, par la place des femmes dans ce cinéma : il y a certes là des schémas Hawksiens bien connus (femme bouleversant un temps la camaraderie virile, qui doit passer certains tests pour être acceptée dans leur communauté…), mais j’avais l’impression que ces motifs étaient jusqu’ici toujours transcendés par la dignité et la force de ces héroïnes, qui jouaient à ping-pong égal avec leur partenaire. Jean Arthur ici, après un prologue pourtant parti pour en faire un personnage principal, perd rapidement cette fierté et cette dignité, n’étant bientôt plus que révérence et humiliation. Plus méprisant encore pour elle, elle passe brusquement de possible héroïne à simple personnage secondaire amusant, un comic-relief entre deux scènes graves. Rita Hayworth, qui ne se débrouille pas mal dans un rôle pourtant pas facile, devra elle aussi en passer par l’étape d’une révérence lacrymale au héros (qu’elle aurait dû écouter dès le début), ainsi que par une dégradation (l’ivresse et son dégrisement brutal). Le personnage de Cary Grant en devient presque déplaisant ou suspect, comme s’il avait besoin de ces marques de vénération, de ces béquilles, pour mériter notre respect.

Un deuxième aspect plus étrange du film, ce sont les scènes de vol. Bien que remarquables (surtout la dernière, crépusculaire, entre nuit et flammes), elles m’ont fait hésiter tout du long entre maquettes et prises de vue réelles : difficile alors de vraiment s’y oublier, ne sachant jamais si la fragilité apparente de ces engins relevait d’un témoignage documentaire saisissant (appareils primitifs menaçant de rompre au moindre coup de vent) ou d’une maladresse de figuration.

Passés ces problèmes, le film a tout de même pour lui d’aller explorer le cinéma de Hawks jusque dans ses dernières profondeurs, tant la camaraderie intense qu’il aime à déployer (énergie de groupe se serrant les coudes, festivités fébriles, amitiés de longue date) semble ici n’être que l’autre visage, le miroir indissociable, d’une macabre et métaphysique solitude (du blessé qui préfère mourir seul au collègue qui vit aux sommets avec son contact radio pour seul simulacre humain, jusqu’à la façon dont les morts sont immédiatement effacés des souvenirs communs, le film flirte souvent avec l’abysse). Coincé dans ce lieu au bout du monde, parfois isolé par la nuit ou un brouillard quelque peu mythologique, ce film d’aventure porte des habits étrangement existentiels.

Only Angels Have Wings en VO.

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