À cause d’un accident de train, le pianiste Paul Orlac perd l’usage de ses deux mains. On lui en greffe de nouvelles, qui s’avèrent être celles d’un assassin récemment exécuté.
Légers spoilers.
La fluidité narrative de Wiene surprend, lui qui dans Caligari était souvent laborieux, alignant les images dans lesquelles se présentaient les originalités de décors à la queue leu-leu, comme sur présentoir. Entres les deux films, un pas de géant a été fait, qu’on devine d’abord par la manière dont l’expressionnisme s’est fondu dans le réel, pour se faire infiniment plus marquant. L’accident de train qui ouvre le film, dans la nuit noire et les fumées éblouissantes, est d’un onirisme bien plus frappant que n’importe quel décor explicitement tarabiscoté, et tout aussi propre à transmettre un sentiment de désastre humain. Plus généralement, le film est beaucoup plus proche d’un Nosferatu, dans le sens où sa veine expressionniste confine à la mélancolie, à un vague à l’âme plus proche du romantisme : c’est avant tout l’histoire d’un couple qui va mal.
C’est la première chose qu’on lit dans le film, “J’aimerais sentir ton corps sous mes mains”. L’érotisme est immédiatement une dimension au centre de l’horreur, et il n’est pas difficile de voir, à travers la façon dont se développe ce pitch, l’histoire d’un jeune couple amoureux confronté à l’éveil, chez le mari, d’une sexualité dont il prend peur. Le film tient d’abord très bien cette ligne, dessinant les contours d’un film d’horreur psychologique, ému par cette histoire d’amour très simple. Mais au tiers du récit, Weine fait un choix surprenant (qu’on peut aussi juger subtil) : ne plus confronter les amants. Le film suivra alors les évènements “chacun de son côté”, délaissant la pureté de la trame romantique pour explorer d’autres voies (la criminelle, la familiale). Wiene ne s’égare pas pour autant, il ne perd pas le ton si particulier qu’il a introduit, mais peut-être perd-t-il de vue l’enjeu : la poésie du film se dilue parfois dans un certain ennui (aussi du à une lenteur de jeu un peu facile), et se ratatine dans un final qui privilégie les nœuds de la résolution policière au climax du couple – remis au centre in extremis et bien trop rapidement (bien que le dernier plan soit superbe).
Le film reste beau et inspiré. Peut-être trop timoré pour vraiment exploiter la veine “film d’horreur” de son pitch… Mais il dégage une mélancolie profonde et persistante qui à mes yeux le rend bien plus précieux que son célèbre prédécesseur.
Orlacs Hände en VO. (F) [extrait]