L’Affaire Cicéron Joseph L. Mankiewicz / 1952

Ankara, capitale de la Turquie neutre, 1943. Diello, le valet de chambre de l’ambassadeur du Royaume-Uni, propose à un attaché de l’ambassade du Troisième Reich de lui vendre des documents britanniques classés top-secret…

Quelques spoilers.
 

Écriture savante, brillante mise en scène de la parole, grande rigueur formelle… L’Affaire Cicéron est un véritable show du savoir-faire de Manckiewicks ici réduit à l’os, à son niveau le plus sec, entièrement mis au service de la machinerie d’un récit à suspense. Comparé à d’autres de ses films (où la science du cinéaste se mêlait à des tonalités plus mystérieuses, intimes, ou romantiques), on a un peu de mal ici à trouver une porte d’entrée.

Son identité, le film la trouvera finalement dans les rapports de domination. À l’image de la confrontation finale qui, dans Eve, voyait Georges Sanders soumettre le personnage d’Anne Baxter, toute scène dialoguée dans L’Affaire Cicéron consiste à savoir qui écrasera l’autre de son pouvoir et de son assurance. Ainsi en est-il du personnage de James Mason, dont le jeu pousse à l’extrême la dimension potentiellement sociopathe du légendaire flegme britannique, laissant son interlocuteur défait, incapable de tenir les exigences qu’il avait à lui opposer, écrasé sous une parfaite maîtrise rhétorique. Les échanges avec Danielle Darieux colorent ces jeux de domination d’une lutte des classes plus explicite, prenant alors un visage proprement SM (façon maîtresse et domestique), et dont l’érotique déviante déteint sur l’ensemble du film – au point qu’on a parfois l’impression d’évoluer dans une version gueule de bois de l’univers de Lubitsch (via Moyzisch, on est d’ailleurs parfois pas loin de To Be or Not to Be). Il y a par exemple quelque chose de bizarrement soumis et servile dans la perfection avec laquelle Mason joue au valet pour l’ambassadeur…

Sous ce prisme sado-masochiste et sous le regard de Mankiewicks, le conflit géopolitique mondial semble n’être plus que le masque superficiel, interchangeable, de cette lutte de classes qui au fond n’a jamais cessé : ainsi l’ambassadeur allemand, qui a un nom à particule, méprise avant tout le pouvoir nazi parce que c’est une « bande de délinquants juvéniles » – comprenez des non-aristocrates. La manière dont le héros veut prendre sa revanche sur ce jeu des classes sociales, et la façon cruelle dont celles-ci s’avèreront toujours primer sur n’importe quel autre lien d’intérêt (remettant le personnage “à sa place”, soulignant une blessure originelle expliquant partiellement son comportement prédateur), tout cela maintient le film alerte et vivant : la mécanique du récit d’espionnage trouve alors un sens et un devenir, quoiqu’un un peu sagement soulignés par une scène finale sans grand panache.

Five Fingers en VO.

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