La Sorcière sanglante

Notes sur les films vus #4 # 4

Parce que la comédie française pourrave a réussi l’exploit de ne pas se retrouver en dernière position, et que c’est assez rare pour qu’on ne laisse pas filer l’occasion.

 

La Sorcière sanglante

Antonio Margheriti / 1964

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Italie, XVème siècle : la peste noire a envahi un pays rongé par la superstition et la chasse aux sorcières. Le comte Humboldt, dont le frère a été tué, fait condamner la maîtresse du défunt, Adèle Karnstein, brûlée vive sous le regard horrifié de ses filles. (I Lunghi capelli della morte en VO)

Légers spoilers. Un film d’épouvante gothique enthousiasmant, mené tambour battant par des scènes tendues d’enjeux, de conflits (et ce dès l’ouverture où l’innocente, qu’on brûle à tort pour sorcellerie, profère pourtant une malédiction du haut de son bûcher). Dirigé par les pulsions primaires des personnages, qui ont autant d’appétit que la caméra captivée par leurs larges visages, le film sait allier l’imagerie séduisante d’une époque de peste (nuit de fin du monde savamment orchestrée avec trois bouts de décors) et la matérialité de corps vifs, souvent élancés de désir. La deuxième partie cependant, en rejouant Les Diaboliques avec moins d’inspiration (ralentissement des rebondissements, long cache-cache en sous-sols, ambigüité mal gérée du personnage de Mary…), perd progressivement de vue les enjeux ; ceux-ci se trouvent bien essoufflés, arrivés au dernier acte : la cruauté potentielle du final, comme le contexte de fête qui lui est tout offert, ne sont guère exploités. À force d’avoir réhaussé les attentes en ouvrant son film à d’autres horizons (historiques, notamment), Margheriti finit par frustrer son spectateur… Il reste qu’en explorant l’imagerie du genre sur un mode bien plus narratif que chez Bava, il s’impose comme un cinéaste efficace et singulier.

 

Miss Hokusai

Keiichi Hara / 2015

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En 1814, Hokusai est un peintre reconnu de tout le Japon. Sa fille O-Ei et lui passent leur temps enfermés dans leur étrange atelier aux allures de taudis. (Sarusuberi : Miss Hokusai en VO)

Quelques spoilers. Le cinéma de Keiichi Hara continue à donner l’impression d’une œuvre qui n’a pas trouvé de corps propre, comme si sous la peau remuait la gestation d’un style encore prématuré. Ce qui n’est pas sans charme (voir, dans ce nouveau film, l’incongruité totale de la nuit de dépucelage), mais empêche aussi toute possibilité de geste long. Miss Hokusai est cependant moins instable que son prédécesseur, restreignant ses dérapages à quelques rares saillies (l’anachronisme trop forcé des musiques, entre autres) pour se stabiliser sur une hybridité forte : quotidien pragmatique contre fantastique, sans qu’aucune emphase ne vienne faire liant entre les deux. Dans la façon dont l’un et l’autre marchent en parallèle, cohabitant sans s’influencer, se devine un refus d’exprimer ce qui relie la maison-porcherie où se donnent les coups de pinceaux nonchalants, et les chefs-d’œuvre qui en sortent : un refus d’expliquer le mystère de l’art, en somme. Les personnages eux-mêmes butent contre cette question : découverte étonnée au matin d’une peinture exécutée hors-champ, recherche vaine de moyens concrets pour habiter ses dessins d’érotisme, compagnon butor inapte à voir le surnaturel, aveugle qui doit imaginer la beauté du monde… Croulant sous bien d’autres enjeux (le féminisme, le mélo de la sœur malade), le film peine à pleinement se réaliser en un final satisfaisant, faisant le choix de simplement couper le récit en route, comme avouant qu’il n’a pas d’autre destination que le surplace de ses personnages. Ceux-ci sont ce que le film réussit le mieux, les modelant à son image : tout en résistance, attachants dans leur réserve butée.

 

Le Conte du pont au moine

Edvin Adolphson / 1935

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Ake s’installe dans un modeste hôtel de Stockholm, devenue le terrain de jeu d’un voleur particulièrement habile. Il se lie rapidement d’amitié avec les pensionnaires hauts en couleur de l’établissement. (Munkbrogreven en VO ; la traduction française, qui confond “comte” et “conte”, était déjà en grande forme…)

Spoilers. Voici un film qui n’aurait certainement pas traversé les âges si Bergman n’y tenait pas son premier rôle… Pas qu’il s’agisse de nier la relative bonne facture de cette comédie policière, ni les quelques plaisirs basiques qu’elle procure : voir se former une communauté de bric et de broc (au caractère vaguement Capresque), observer l’hôtel en devenir le QG. Mais le film agace sur deux points. Par sa peinture complaisante du bon peuple, déjà (ses originaux, ses quatre cents coups, sa solidarité d’Épinal), dont la seule consistance est de gentiment moquer le pouvoir (l’affaire des quotas d’alcool). Et par son hypocrisie ensuite, propulsant tout ce petit monde en haut de l’échelle sociale par une série d’happy-ends factices (par ailleurs assez foireux, sur le pur plan de l’intrigue). Si le personnage du « comte » est appelé ainsi, alors qu’il se traîne en guenilles, c’est justement pour souligner que la noblesse est affaire de caractère, et non de possessions. Lui répandre de l’argent sur la tête en guise de résolution, comme un cadeau trop longtemps mérité, c’est voir le film nier tout ce qu’il a fait mine de célébrer. L’ensemble étant platement écrit et mis en scène, rien ne viendra nous divertir de cette odeur rance, qui irrite à chaque effet de connivence recherché.

 

Nos Femmes

Richard Berry / 2015

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Depuis trente-cinq ans, Max, Paul et Simon sont inséparables. Un soir, Simon arrive en retard à leur rendez-vous hebdomadaire, et leur annonce qu’il vient de tuer sa femme.

Si l’origine théâtrale du script permet un effort de dialogue plus soutenu que dans le tout venant des comédies françaises, le film a bien du mal à s’extirper de leur carcan. Berry aimerait pourtant, et c’est ce qui marque le plus : cette ambition un peu dérisoire, qui s’exprime par moments maladroits (la fin se rêvant Tokyo Sonata, le dernier plan). La confrontation de caractères permet certes quelques situations au potentiel lunaire (étrange, notamment, de voir Auteuil jouer et assumer l’amollissement bonhomme qu’il nous inspire ces derniers temps), mais le tout se résume vite à un banal règlement de comptes. La vulgarité TF1 du film bourgeois qui s’ignore (où des vacances simples et retirées se font en hors-bord, où les soixantenaires sortent naturellement avec des filles de vingt ans) est indéniablement un frein. C’est là le drame un peu triste du cinéma de Berry, qui veut viser plus haut que l’humilité d’un Veber, mais qui ne se rend pas compte que la priorité serait de remettre en cause le cadre de la comédie télévisée prime-time, auquel ses essais sont totalement aveugles : reste de fait l’impression d’un affolement dans un verre d’eau.

 

Dragon Nest : Warriors’ Dawn

Yuefeng Song / 2015

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Altera, terre paisible, est en paix depuis des années. Lorsque des signes annoncent le retour du Dragon noir, les elfes et les humains sont contraint de former une alliance pour le contrer…

Un petit post-scriptum au cinéma d’animation chinois, et à sa mue industrielle. On devrait laisser tranquille ce direct-to-video qui n’a rien demandé, qui n’a aucune prétention auteuriste, et qui n’a à première vue d’autre défaut que son total anonymat. Mais au-delà des tristes ambitions à l’œuvre (chercher le juste milieu entre marché asiatique et américain, comme on concevrait un appareil adapté à la diversité des prises électriques), le film est désarmant, presque chou, dans la façon dont il croit faire mise en scène en multipliant les effets et mouvements, comme un ado qui s’amuserait tout seul dans sa chambre en bruitant les travellings à la bouche. On reconnaît cette a-culturation totale du langage : c’est celle des cinématiques friquées de jeu vidéo, obèses d’effets d’épate et d’images chiadées, n’ayant pour référent que les conventions de leur petit pré-carré (et pensant de fait inventer l’eau tiède par des choix à l’immaturité atterrante). Mais les jeux vidéo n’ont jamais eu, eux, la prétention à être des films, brillant sans difficulté quand il le fallait sur leur propre terrain ; ces rares incursions animées, maladroites et trop enthousiastes, y devenaient presque attachantes, comme l’œuvre d’un réal de série Z tout fou d’avoir trouvé un gros sac de billets. Si cette forme préoccupe une fois passée sur grand écran, c’est parce qu’il est difficile de ne pas y lire le devenir d’un cinéma populaire eurasien voulant maladivement talonner Hollywood sur le plan de la production (et dont la blockbuster chinois, dans sa surenchère, serait le fer de lance) : à la fois totalement hypertrophié dans sa création (mondialisé, optimisé, conçu sur mesure), et pourtant réduit à la pauvreté miniature d’un fantasme esthétique de nerd. D’où, au vu des ambitions de diffusion, un certain vertige – ce même vertige qui nous saisit en re-feuillettant les magazines jeu vidéo de nos années pré-ado, pour constater avec effroi que les journalistes qui nous y parlaient avaient l’âge mental de leurs lecteurs.

 

Gobelins

• Puisque nous parlons animation, un petit mot sur l’école des Gobelins, qui a l’excellente initiative de proposer en accès libre la fournée 2015 de ses films de fin d’étude (on rêverait que toutes les écoles de cinéma sortent de leur autisme pour se cogner au public de la sorte). L’animation française, bien que formellement virtuose, semble souvent enfermée dans un double automatisme aux cinéastes absents : l’humour distant Tatiesque, et le tout-allégorique hérité de l’animation de l’est, pour des films conçus au service d’un concept-pitch souverain. On peut donc apprécier cette année de voir plusieurs films s’essayer à d’autres voies : si c’est parfois pour tomber dans d’autres conventions, celles du court-métrage français filmé en l’occurrence (narration trouée et soustractive, fins ouvertes qui-en-pensent-long), la rencontre crée quelques jolis moments. Mis à part le premier et le dernier films, assez faibles, l’ensemble est plutôt motivant.

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