Notes sur les films vus #11 # 11

Parce qu’il faut bien ça de kitsch et de romance sucrée pour traverser l’hiver, que ceux qui l’ont passé à voir du Straub me jettent la première pierre.

 

Your Name

Makoto Shinkai / 2016

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Deux adolescents qui ne se connaissent pas, l’un garçon et l’autre fille, l’une à la campagne et l’autre à Tokyo, se retrouvent projetés dans le corps l’un de l’autre. (Kimi no na wa en VO)

Il était difficile, jusqu’ici, de considérer Makoto Shinkai autrement que comme l’enfant dégénéré d’une animation japonaise sur son déclin (on pourra citer toutes les nouvelles têtes qu’on veut, Hosoda, Hara ou Yuasa : ils restent bien légers face aux grands noms des années 90). Son film phare, Cinq centimètres par secondes, laissait entendre un cinéaste qui n’a retenu de ses aînés que les gestes de surface et de contenance : le petit reflet tremblant dans l’œil, les effets de lumière faciles, les murmures et suspensions, les corps mélancoliques prenant la pose comme des gravures de mode… Ces petites touches économes, Shinkai en fait la matière-même de son cinéma, virant le gâteau pour n’en garder que le glaçage, devenu plat principal à lui tout seul. Voilà pour le carnage ; et ce film-ci, pourtant, suggère qu’il pourrait en sortir quelque chose de grand. Shinkai témoigne certes, et ce dès le générique, d’un héritage télévisuel encore pesant (j-Pop terrifiante, persos et situations ultra-archétypaux), mais son savoir-faire narratif a muri, troquant les suspensions un peu vides pour un récit foisonnant dont la continuelle fuite en avant, et les multiples circonvolutions dramatiques, créent un cadre enfin adapté à ses fantasmes de toujours (visions cosmiques en plein jour, pureté outrée des atmosphères, micro-sensations de la vie urbaine). Son cinéma s’en retrouve comme débarrassé de sa gratuité ; et s’il reste encore à Shinkai un long chemin à faire pour se débarrasser de ses innombrables facilités, il est désormais permis de voir, sous l’épate et la collection d’effets de ce film bancal, une fibre impressionniste nouvelle et prometteuse, qui dessine enfin un futur crédible au vaste chaos post-Ghibli.

 

Lettre de Sibérie

Chris Marker / 1957

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Le récit du voyage d’un cinéaste à travers la Sibérie soviétique.

Voici Chris Marker transformé en entertainer de premier choix : ce documentaire avance sous le régime narratif du coffre au trésor, foisonnant de bifurcations, de trouvailles, de détours par la fiction ou l’animation – et se montrant aussi capable d’apprécier très simplement, entre deux gags, la beauté d’un chant, d’un paysage, ou d’une jolie tournure littéraire. Film vif et généreux donc, curieux aussi sans doute… qui ne parvient pourtant pas à nous rallier à son entrain, incapable qu’il est de chanter avec cette gêne coincée au travers de la gorge. Car Marker a beau jeu, lors d’une séquence célèbre aux voix-off multiples, de mettre dos-à-dos les visions idéalistes et phobiques de l’URSS : son film n’échappe pas magiquement au problème. En l’occurrence, les exaltations qui sont les siennes côtoient de trop près les représentations normées du pouvoir pour qu’on puisse en jouir : splendeur des grands travaux, petite histoire mignonne personnalisant l’effort d’État, acteurs-figures automates, lyrisme conclusif… Qu’il en épouse en partie les formes n’est pas tant le problème, que le fait qu’il ne l’assume pas : la « cocasserie » du film, sa dédramatisation qui se fantasme objectivité, sonnent aux oreilles comme une esquive, une manière de divertir l’attention, une parole faisant mine d’ignorer qu’elle manie les débats politiques les plus fondamentaux de son époque. Ces questions se retrouvent réduites à de bonnes tapes dans le dos, à des blagues sur les ours ou les cow-boys, d’autant plus gênantes qu’elles sont maniées par un verbe savant qui ne peut que connaître le bouillonnement théorique de ces sujets. La légèreté forcée du film finit par en devenir suspecte, un peu fabriquée, en un mot : utile. La curiosité de Marker, son goût du dépaysement et d’histoires trouvées en toute chose, seront autrement plus audibles quand sa caméra se posera au Japon…

 

Ram-Leela

Sanjay Leela Bhansali / 2013

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L’histoire de Roméo et Juliette, dans une ville imaginaire du Gujarat où deux familles armées s’affrontent. (Goliyon Ki Raasleela Ram-Leela en VO)

Légers spoilers. On pensait le soldat Banshali perdu au front, chaque film depuis Devdas dévalant un peu plus la pente vers les facilités du kitsch et les conventions du clip, se blottissant dans les archétypes niaiseux de l’industrie sans jamais plus se mesurer à eux. D’une certaine façon, Ram-Leela ferme la boucle en assumant pleinement sa dimension décorative : les danses sont désormais données en spectacle comme sur scène (face au public, ou dans des arènes), et le film laisse libre cours à ses pulsions rococo, dégueulant paons et hommes bleus, mélangeant mille et une nuits et selfies – et allant plus loin encore, si c’était possible, dans l’érotisme masculin bouffon qu’avait initié Saawariya. Mais entre deux séquences embarrassantes, Banshali sait diablement bien exploiter ce cadre pour dessiner une narration cohérente : soit la montée festive du désir et d’une violence indissociables, où les slaves de coups de feu résonnent comme des cris de jouissance – même les sempiternelles représentations de la Holi, ici chantée sur un ton érotique et saignant, s’en trouvent renouvelées. La deuxième partie, qui adapte moins Roméo et Juliette qu’elle ne rejoue Devdas (une relation empêchée provoque le désastre autour d’elle), s’avère moins saisissante : les numéros dansés s’y font plus gratuits, et le film n’atteint jamais l’ampleur mélodramatique recherchée, ni la justesse qui conviendrait à la peinture de son chaos urbain (les allusions à la culture du viol, notamment, mériteraient plus de maturité). L’investissement narratif de Banshali reste néanmoins intact, et l’excellente Supriya Pathak sait tenir la barre au milieu des interprétations outrées. Bref, en fermant les yeux sur ses multiples sorties de routes, et compte tenu du peu d’espoirs qu’on gardait en Banshali, ce film est une vraie bonne nouvelle.

 

La Dame de pique

Yakov Protazanov / 1916

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Hermann, un jeune officier, passe ses soirées en compagnie de joueurs de cartes, mais n’y participe jamais lui-même. Un soir, leur hôte leur raconte l’histoire de sa grand-mère… (Pikovaya dama en VO)

Quelques spoilers. Protazanov me faisait jusqu’ici l’effet d’un bon artisan : films efficaces et fluides certes, mais au fond assez peu remuants, inaptes à laisser quelque souvenir gravé en tête (même les inventions formelles d’Aelita se sont dissoutes dans l’oubli). Ce film pré-soviétique, beaucoup plus économe (quelques lieux évidés et filmés en tableaux, peu de personnages), s’avère autrement plus marquant. Pas pour ses expérimentations narratives (flash-backs, allers-retours), ni pour l’auteur qu’on adapte (Pouchkine), mais pour la façon dont Protazanov y filme la jeune aristocratie russe. Elle y a quelque chose de reptilien, sous les rires et la camaraderie : Mosjoukine, yeux de corbeaux silencieux écarquillés à vide, nous est certes d’emblée désigné comme un fou en puissance ; mais par sa façon de se tenir immobile face à nous, il semble aussi dire une vérité secrète du monde froid qui court sous les effusions qu’on observe derrière lui. Et il y a quelque chose d’assez fascinant, à travers l’histoire de cette grand-mère, à voir le film remonter le fil d’une lignée pour observer la préhistoire d’une caste, dans ce Versailles où le faste et le fiel des intrigues ne se contiennent pas encore avec la même maîtrise… On ne sait s’il se rumine là une critique sociale, ou une inconsciente fascination. Il reste que cette première partie du film, sobre et épurée, est parfaite. La suite est plus désorganisée, alternant entre des voies mal investies (l’histoire d’amour peu claire avec la servante), des moments ratés (les effets visuels), et quelques saillies géniales (ce chemin hypnotisé au troisième soir, presque rituel, vers la table de jeu). Mais le film alors vaut surtout pour ce qu’il continue, en creux, de sa mythologie de la noblesse : pour la confrontation du héros avec le rictus décharné et hargneux de l’ancienne demoiselle, qui en retirant le masque de la jeunesse laisse entrevoir, telle une sorcière, le visage monstrueux de l’aristocratie.

 

La Dernière maison sur la gauche

Wes Craven / 1972

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Deux jeunes filles, parties en ville fêter leur anniversaire, croisent la route d’un tueur et de ses trois associés. (The Last House on the Left en VO)

Quelques spoilers. Le premier film de Wes Craven n’a pas grand-chose pour lui : c’est un film de transition générationnelle typique, pré-calibré pour faire plaisir aux Histoires du cinéma (institutions morales ridiculisées ou profanées, mœurs des ados posées sur table et discutées comme un sujet de magazine, scandale du gore à l’écran), dont il émane un fort parfum d’amateurisme et d’à-peu-près. Qu’en retenir, alors ? Déjà avouer que, jusque dans sa dimension nanardesque, le film se regarde sans déplaisir. Mais surtout noter ce passage magistral, la scène du double-massacre des jeunes filles, qui émerge du film comme naîtrait Craven cinéaste au milieu d’un torrent de n’importe quoi (en l’occurrence, au milieu d’une séquence de sadisme sexuel passablement hasardeuse…). Soudain, devant la caméra, s’opère une série de choix magnifiques (cache-cache dans la forêt en forme de ballade, cimetière accueillant la jeune fille qui va y mourir, victime qui avance seule vers les eaux sombres en entraînant ses tortionnaires, comme pour une étrange procession). Durant dix minutes étonnamment matures au regard du reste, nous apparaît alors tout ce qui fera la beauté du cinéma de Craven, ce refus de délier l’horreur d’une certaine forme de fantastique, et d’étrangeté poétique. Le rapport du spectateur à l’horreur n’a alors plus rien d’évident : le film d’exploitation jouisseur se désenchante en une série de visions horrifiques éllipsées, comme issues d’un trauma, observant le massacre avec calme et nihilisme. Et au milieu du nanar, alors, se déploie un cinéaste.

 

Close-Up

Abbas Kiarostami / 1990

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Un cinéphile sans emploi se fait passer pour le célèbre cinéaste Mohsen Makhmalbaf, afin de s’attirer les faveurs d’une famille bourgeoise. Démasqué, il est traîné en justice pour escroquerie… (Nema-ye Nazdik en VO)

Légers spoilers. Il est étonnant de voir fleurir, cinq ans avant Salaam Cinema, un autre projet occupé à filmer la fascination du peuple iranien pour son septième art, fascination qu’on filme déjà ici comme possiblement monstrueuse, incontenable, confinant à la folie. C’est l’image la plus marquante de Close-up : l’accusé escroqueur, auteur d’une manipulation Wellesienne, apparaît recroquevillé comme un gamin timide et perdu, lui-même surpris de ce qu’il a fait, comme éternellement bloqué au stade du petit spectateur émerveillé qu’il fut sans doute. Mais pour le reste, si le film de Kiarostami est infiniment plus aimable que celui de son collègue, il peine à créer le vertige annoncé. Le principe n’est pas inintéressant : faire rejouer aux personnages réels des scènes où tous, au fond, jouaient déjà un rôle – de celui qui faisait semblant d’être cinéaste, à ceux qui se forçaient d’y croire sans être dupes. Mais Kiarostami semble penser que ce système se suffit à lui-même, que le dispositif fait le film. Ses premières œuvres néoréalistes, les meilleures, étaient frappantes pour leur capacité d’attention à la texture secrète de la réalité, pour leur capacité à la faire exister dans toute son épaisseur. Ici, Kiarostami observe le dispositif théorique comme il observait autrefois les visages, attendant en vain qu’il produise autre chose que ce qu’il énonce déjà, de lui-même, sur le papier. On s’ennuie donc assez rapidement, ne pêchant ça-et-là que quelques frissons de réel (paradoxalement plutôt issus des passages fictifs), sans être particulièrement saisis sur le plan intellectuel.

 

La Reine des neiges

Chris Buck, Jennifer Lee / 2013

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La petite Elsa, princesse du royaume d’Arendelle, a le pouvoir de maîtriser les glaces. Mais après qu’elle a accidentellement blessé sa sœur Anna, ses parents décident, pour sa propre sécurité, de l’isoler et de garder son pouvoir magique secret. Anna grandit seule, et le château ferme ses portes… (Frozen en VO)

Légers spoilers. À la fin des années 80, le moribond Studio Disney renaissait de ses cendres en accueillant de jeunes équipes certes, mais surtout l’influence mastodonte de Broadway. Les chansons retrouvèrent soudain leur rôle structurant du récit, rendirent aux films leur lyrisme perdu ainsi qu’une colonne vertébrale, tout en les gavant d’énergie. Il faut alors se forcer très fort pour ne pas voir, dans La Reine des Neiges, le résultat d’un nouveau pacte signé avec le diable, qui aurait à la fois réussi (le film a totalement reconquis le marché) et mal tourné. Car Broadway ici n’est plus une influence : c’est une OPA. Pour certains traits musicaux bien sûr (le parlé-chanté notamment), mais aussi pour cette espèce de distance théâtrale, cette monstration des enjeux émotifs plutôt que leur incarnation, qui empêche le film de se vivre dans la puissance d’un véritable premier degré – alors que le pitch, magnifique d’angoisse affective, s’offrait idéalement à la chose. La disparition d’une direction artistique forte et unifiée (qui fut le mantra du Disney 90’) n’aide pas non plus à voir les personnages autrement que comme des pions en plastique… Esprit Disney es-tu là ? On le retrouve par bribes : dans le récit d’une enfance cruellement solitaire, ou par la mort des parents en un plan silencieux, qui rappellent que le studio eut toujours un sens aigu de la narration muette, de l’image métonymique, de la pudeur traumatique. Pour le reste, passée l’installation convaincante, La Reine des Neiges ne semble plus que s’agiter sans quelque forme d’inspiration que ce soit, lisse et anonyme comme un téléfilm 3D.

 

 
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• On liquide les nombreux retards de 2016, en commençant par ce qui n’est pas loin d’être un chef-d’œuvre, Manchester by the sea (Kenneth Lonergan, photo). Il est toujours assez énervant de constater que les films qu’on aime le plus sont ceux sur lesquels on a rien à dire… C’est plus que jamais le cas ici, tant les qualités de ce mélodrame sont cryptiques ; et tant il ressemble, sur le papier, au plus banal des films Sundance, qui tromperait sa monotonie par une déconstruction du récit. Le résultat, d’une ampleur et d’une maturité affolantes, m’a peut-être moins ému qu’impressionné, mais qu’importe : grand film.
• Le monde cinéphile semble s’être découpé en deux depuis Sils Maria concernant le cas Assayas, qui jusqu’ici ennuyait à peu près tout le monde. Certains n’y voient rien, d’autre se découvrent une admiration… Le hasard fait que j’ai vu Personal Shopper deux fois, et je ne vais guère aider à trancher. La première, j’ai découvert avec enthousiasme un drame terriblement habité, chaque plan tendu d’attention pour son actrice, dans un fantastique à la sobriété superbe, fait d’attente et de mélancolie, de croisements étranges et de bifurcations scénaristiques inattendues, tout en gardant un ton admirablement uni. La seconde fois, je n’y ai rien vu du tout : un drame filmé platement et sans objet très clair, perdu dans ses considérations théoriques et ses gênes accumulées face au genre. Curieux cas de Shrödringer cinématographique. En attendant, on peut se contenter de lister ce qui fonctionne moins (les effets spéciaux dispensables, ou encore cette séquence aux textos, belle idée de cinéma grevée par un texte mal écrit, qui sous-entend un interlocuteur bête), et ce qui fonctionne toujours aussi bien (Kristen Stewart, l’une des plus belles révélations des années 2010).
• On sympathise très rapidement avec le projet cinématographique de Paterson (Jim Jarmush) : avec cette expérience sobre du quotidien, et cette façon qu’a le film de nous faire à des usages, de nous donner des rendez-vous, de les tenir, de nous acclimater à son rythme et à son refus du récit. Cependant, si Jarmush a calmé ses délires hipsters multi-référencés, son film manque de prosaïsme, celui-là même que sa poésie réclame : l’ensemble paraît souvent grossier dans ses effets, que ce soit ce comique à base de mimiques canines, ou ces fondus enchaînés sur nappes sonores, qui donnent aux passages textués des airs de vidéo youtube. Le film est gênant, enfin, dans cette relation amoureuse qu’il voudrait solaire, et qui est bien trop asymétrique (femme infantilisée et étouffante, mari qui la supporte avec stoïcisme) pour qu’on adhère au tableau apaisé qu’en fait Jarmush.
• Avec Sully, Clint Eastwood poursuit la radiographie du héros américain commencée avec American Sniper. C’est un portrait d’icône en sursis, à la morale entachée et en proie au doute, dans un lent et méthodique processus de descente aux enfers dont on revient confirmé de son génie et de son bon droit (contre la bureaucratie et l’Etat, évidemment). Eastwood tient le spectateur en respect par la sobriété d’un film resserré sur 208 secondes, rejouées dans tous les sens comme un rubik’s cube du doute patriotique. Mais il épuise aussi par la récurrence avec laquelle son classicisme souverain le cède à l’académisme, semblant parfois remplir le vide (les flash-backs…) d’un évènement trop maigre pour tenir la durée d’un long-métrage. À ce titre, la blague anecdotique qui fait final et les paresseuses images d’archives qui suivent laissent un goût dépité en bouche.
• À quel point peut-on pardonner à Dolan ses conneries, sous prétexte qu’il est l’un des seuls cinéastes à bander encore ? Juste la fin du monde sonne un peu la fin de la récré pour le cinéphile qui, jusqu’ici, au nom du vitalisme, lui excusait sa prétention tarte et ses idées pif gadget (changements de format, utilisation crâneuse des morceaux de pop…). Impossible d’aimer un film qui, pour satisfaire ses envies de lyrisme, saute à pieds joints dans toutes les facilités possibles et imaginables – à commencer par l’hystérie célébrée de personnages détestables, venus artificiellement exciter les tensions d’un huis-clos qu’on ne fait que subir. Il reste évidemment des choses à prendre, comme ce gros plan pivot d’Ulliel (expression de sphinx égaré, léger sourire esquissé) qui se fait réceptacle énigmatique de la totalité des situations. Mais l’émotion tant recherchée ne peut naître d’un cadre qui pue tant le renfermé et la performance.
• Une petite visite enfin aux sorties invisibles avec Kill your friends (Owen Harris), qui est de ces films cyniques et rutilants, fiers de l’être, qui pensent que filmer la success story d’un personnage ignoble suffit à les rendre subversifs. Résultat désespérément plat, donc, pour cet énième film tentant d’exploiter l’image glaciale dont Nicolas Hoult a fait son fond de commerce. Et en parlant de gamins travaillant leur image, voici Kids in Love (Chris Foggin), un film tout entier offert à Will Poulter. Il aurait pu tomber mieux que ce filtre instagram d’1h30 (et qui sont donc ces foutus “artistes rebelles” en carton, tous droits sortis d’un fantasme de publicitaire, qui sont censés dans chaque film fasciner le personnage principal ?).

 
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• Hors actualité, quatre films décevants, à commencer par le Fata Morgana de Werner Herzog (1971, photo). Le cinéaste semble tourner en boucle et s’auto-caricaturer, dans ce qui est paradoxalement l’un de ses films précoces : sous la radicalité du projet se cache un film de fainéant, qui ne tient que par le tournage dantesque qu’il suggère. Les grandes vues de paysages se contentent d’illustrer les mythes que la voix-off y plaque, ponctuées d’une chasse au trésor aux images incongrues (la plupart du temps artificiellement provoquées par l’embarras d’une pose à tenir). Le tout s’égrène au rythme de musiques s’enchaînant dans la plus totale indifférence de ce qui se déroule à l’écran, comme si l’on avait laissé un juke-box allumé… Reste cette indécrottable qualité d’Herzog : la capacité à nous faire voir l’évidence autrement, comme de biais. Ici, c’est par exemple ce long travelling sur un village pauvre en plein désert, maisons éparses au milieu d’un infini territoire de sable où courent quelques ombres, et dans lequel le film parvient à nous faire voir le mirage du terrain de jeu originel, offert et disponible, d’avant les tracas des sociétés et de l’âge adulte.
Southland Tales (Richard Kelly, 2006) est un film particulièrement usant, uniquement occupé qu’il est à courir après son statut d’œuvre culte. Son portait de l’Amérique, charge baroque indigeste qui étend le bon goût de la Floride aux dimensions du pays entier, est condamné au surplace : l’hypertrophie du monde décrit n’a d’égale que celle du film, dont la grossièreté adolescente peine à soutenir les ambitions métaphysiques. Pas qu’on soit aveugle au projet de Kelly : à sa volonté de faire poindre un lyrisme de la vulgarité, une transcendance du trivial, une vérité de l’hétérogène. Mais mis à part quelques personnages touchants (le casting, composé des pots cassés de l’industrie, encourage évidemment cette tendresse), la mayonnaise ne prend pas.
Deux sœurs (Kim Jee-Woon, 2003) confirme l’impression laissée par A Bitersweet Life : celle d’un cinéaste savant mais pas très profond, qui a pour seul projet d’investir soigneusement l’imagerie. La superficialité règne, à commencer par cette manie de totalement soumettre le récit (ce qu’il peut évoquer, convoquer, travailler) au détricotage méticuleux des coups de théâtre scénaristiques, devenus fin en soi.
• Terminons avec Les Jours et les Nuits (Ayam wa Layali, Henry Barakat, 1955), qui commence sérieusement à me faire douter de la réalité d’un âge d’or classique égyptien (qui ne fut peut-être, au fond, qu’un âge d’or de la production). Pas que le film soit honteux : il démarre comme une comédie dramatique honnête, quoique poussive et arthritique, pour se réveiller tardivement quand il lui faut se complexifier (la soirée de marivaudage, et le triple drame qui en découle). Barakat fait alors preuve, ça-et-là, d’une mise en scène consciente des enjeux, mais peine franchement à créer de beaux moments (ce ne sont pas les chansons, encarts platement filmés, qui pourront venir remplir ce rôle). Il faut par ailleurs supporter la phallocratie latente du film, profondément désagréable… On retiendra seulement de tout ce bazar Mahmoud El-Meligui, fugace mais comme toujours impeccable.

 

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