Salaam Cinema

Salaam Cinema Mohsen Makhmalbaf / 1995

Mohsen Makhmalbaf prépare un film pour fêter le Centenaire du cinéma. Il fait paraître une petite annonce dans la presse de Téhéran pour recruter cent comédiens : cinq mille personnes se présentent. Dans une pièce vide, le réalisateur entame les auditions…

Légers spoilers.

On ne peut nier à Makhmalbaf un talent du pitch : le dispositif qu’il met en place envoie valser toutes les élégies tiédasses qui sont habituellement le lot des films-hommage. En déplaçant son regard sur l’étape inattendue du casting, Makhmalbaf filme le jaillissement perpétuel du cinéma plutôt que son passé, tout en célébrant sa dimension populaire (les problèmes sociaux très concrets qui ont poussé chacun à venir, les fantasmes profonds que le cinéma suscite chez eux). Énergique, à la fois nourri de réel et fortement théâtralisé (rituel précis avec marques au sol, grotte noire aux projecteurs dorés), le film de Makhmalbaf se présente à nous comme un projet généreux, offrant à cette foule qui veut jouer d’incarner un rôle à l’écran : celui d’un septième art toujours vivant.

Quelle déconvenue, alors, de découvrir derrière le beau projet un véritable film de connard, qui transforme chaque audition en exercice mesquin d’humiliation, de manipulation, et de contrôle. Sous prétexte de dé-romantiser le cinéma, Makhmalbaf approche son art sur le mode brutal de l’entretien d’embauche, mettant artificiellement les candidats en concurrence, les assaillant de préceptes d’une crétinerie sans fond (« un acteur doit être capable de pleurer sur commande »). Évidemment, non sans précautions : c’est que le cinéaste, qui met ostentatoirement en scène son rôle de tortionnaire, entend bien démontrer les pulsions de domination inhérentes aux rapports sociaux. Ayant ainsi montré patte blanche, il peut librement tirer ses interlocuteurs vers le bas, les maintenir dans la fange de leurs angoisses, les transformer en souris de laboratoire dociles (« reviens, pars, reviens, tu es rejetée, non tu es prise ») – poussant même la perversion jusqu’à donner à ses victimes, sous l’excuse d’une démonstration édifiante à mener jusqu’au bout, l’occasion d’endosser à leur tour le rôle de bourreau : moyen détestable de se déresponsabiliser, par-dessus le marché, de son propre sadisme. La prétention à radiographier la société iranienne a bon dos, ces jeux de pouvoir existant d’abord pour satisfaire la pêche au grand moment de cinéma (interlocuteurs mis au défi de prendre une décision, intensité des échanges dénués de précautions oratoires), intention qui serait recevable si elle ne se ratatinait en recherche pathétique d’images-choc, résumées par le leitmotiv atterrant d’un cinéaste qui hurle « chiale ! » à ses aspirants comédiens.

Et l’on comprend alors que cette foule en ouverture, cette masse impressionnante et dangereuse, n’était pas là pour inventer une image à la fascination que le cinéma exerce encore aujourd’hui, ni pour offrir à l’art monstre un happening à sa mesure : non, c’était seulement le moyen de créer du sensationnel au profit de l’humain, de goûter au plaisir de voir le peuple se foutre sur la gueule, s’animaliser, pendant qu’on le filme calmement de haut, à distance sécurisante – cette distance de l’ethnologue qui a bien compris, lui, les ficelles qui régissent le monde. Au milieu de son film, au terme d’un de ces interminables débats stériles dont le cinéma d’auteur iranien a le secret, Makhmalbaf parvient à lâcher cette énormité à une jeune fille contrainte d’exclure ses camarades si elle veut continuer la course : « Il faut choisir entre être humain ou être artiste ». Preuve, s’il y en avait encore besoin, que son cinéma n’a que très moyennement compris ce que ces deux notions recoupent.

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