The Visit

The Visit M. Night Shyamalan / 2015

Deux enfants sont envoyés passer une semaine en Pennsylvanie, dans la ferme de leurs grands-parents.

Spoilers.

Après deux films douloureux, où un inconnu semblait s’être substitué à Shyamalan pour maladroitement en mimer le cinéma, The Visit permet à la filmographie de reprendre son souffle. Le cinéaste ressort son cartable pour un exercice d’humilité (le petit film d’horreur fonctionnel Madhouse), tel un accidenté de la route entamant sa rééducation, contraint de tout réapprendre à zéro.

Le premier territoire reconquis est celui de l’humour – et même si c’est à gros sabots, The Visit parvient là à retrouver un certain sens de la générosité. Tout le reste est au point mort : les prétentions méta sur l’art de la mise en scène, vagues et artificielles, sont lancées comme autant de bouteilles hasardeuses à la mer ; le dispositif found-footage peu exploité (sinon pour multiplier les jump scare) ne retient du caméscope que l’objet domestique qu’on confronte au fantastique ; les tics scénaristiques, quant à eux, sont devenus des gimmicks (le toc enfantin, le souvenir sportif à réparer). Le plus douloureux reste le dévoiement d’une belle tradition Shyamalienne, celle d’une ligne émotive venant transcender le pitch roi (l’histoire d’amour immaculée du Village, le deuil maternel de Signes : ces arcs narratifs inattendus dans le cadre du film d’horreur, qui traversaient les films comme la foudre pour ne rien y laisser en place). Beau geste ici réduit au motif paresseux d’un divorce scotché à l’intrigue : derrière la parenté thématique (une histoire de famille), les péripéties se révèlent assez étrangères à ce trauma qu’elles sont censées résoudre – au mieux jouent-elles comme déclencheur d’une hystérie qui déverrouille, in extremis, les blocages des personnages.

Le twist final, qui semble ratatiner le mystère aux dimensions d’une bête anecdote, suggère pourtant en quoi ce film aurait pu être grand. Car il est alors frappant, scénaristiquement parlant, de voir l’héroïne quitter le flou évocateur d’une imagerie de contes (que le film et ses personnages s’amusaient ironiquement à spéculer), pour soudain se confronter à la violence d’un véritable cadavre. L’équilibriste qu’était encore ce cinéaste, il y a dix ans, aurait saisi l’ampleur de cette horreur réelle contre le chant séduisant des fables, aurait compris la vérité crue qu’elle dit du chaos familial : derrière le théâtre d’un foyer heureux (les usurpateurs ne faisant, au fond, que matérialiser le fantasme qu’ont les enfants d’une famille unie) se tapit la réalité d’une douleur béante, d’une lignée déchirée que plus rien ne pourra recoudre. Le séjour fonctionne alors comme un songe anesthésiant, qui signalerait inconsciemment à ses jeunes rêveurs, par indices épars, qu’il est un mirage : derrière le tableau idéal d’aïeux réconciliés, quelque chose dissone, dépasse, une vérité refoulée se trahit par saillies, la famille de ne va pas bien. À y regarder sur le papier, l’idée était sublime.

Le convalescent Shyamalan ne sait pas embrasser ce potentiel, n’attaquant la situation que sous l’angle d’une pure ironie (plaquage contre le frigo, musique joyeuse), avant d’y annexer un épilogue mielleux au piano : humour, horreur et émotion se retrouvent encore trop souvent déconnectés, comme les hémisphères d’un cerveau toujours pas reliés, et de cette absence de friction peine à naître une force, une grâce – sinon l’énergie du rire, et quelques bonnes intuitions (la manière, notamment, dont l’image d’une vieillesse bonhomme se colore d’une impensable sexualité). Ce n’est pas rien, et l’on peut se réjouir de voir cette filmographie retrouver un brin de maîtrise. Mais il n’est pas certain que là soit l’urgence : c’est aussi en fragilisant ses acquis, au milieu des années 2000, que le cinéma de Shyamalan avait produit ses plus beaux éclats. Le vrai scandale du Dernier maître de l’air n’était pas l’approximation, ni le ridicule, mais l’anonymat : avant d’être moins maladroit, ce cinéma gagnerait surtout à retrouver du goût.

Réactions sur “The Visit M. Night Shyamalan / 2015

  1. Je manque encore une occasion de commenter l’une de tes chroniques… film hélas aussi bien distribué que “Sinister 2 » chez moi. Mais bon du coup Shyamalan change aussi de “marché”… ça sera parfait pour le rattrapage vidéo (je n’ai lu que le dernier paragraphe de ton texte).

  2. Heeey Chow ! Comment vas-tu ?

    C’est effectivement pas très grave, c’est un film idéal pour le visionnage TV. J’ai du mal à croire au changement de marché de Shyamalan, il clame qu’il veut faire des films comme ça désormais mais “Labor of Love” se ferait avec un budget qui représente un quart du salaire habituel de son acteur principal ? Et vu le succès de “The Visit” en Amérique, ça lui ouvre des portes que je l’imagine mal refuser…

    Les réactions en salles étaient étonnamment bonnes et collectives, en tout cas, là où le rire dans mes précédentes séances de Shyamalan laissait toujours planer un soupçon de moquerie…

  3. A noter que les deux jeunes acteurs, qui auraient pu être crispants, sont très bien, ce qui confirme que Shyamalan est bon directeur d’acteurs jeunes ou inexpérimentés (Cf. Haley Joel Osment et Bryce Dallas Howard). Ce que les – lourds – dispositifs de ses films tendent à masquer.
    (Mais ce ne doit être que piètre consolation pour toi…)

  4. Ah tiens oui, tu as raison, même si bizarrement c’est pas ce que j’avais retenu. Au début j’étais même assez rebuté par eux, en fait : les jeunes acteurs dont tu parles, chez lui, sont des figures lyriques, ou mutiques, ou mystérieuses. Là ça m’a un peu décontenancé d’avoir deux gosses fiers et bouffons (à l’humour pas bien drôle), même s’ils sont impecs sur cette partition-là, et dans la manière dont ils font progressivement poindre quelque chose de l’ordre de la blessure (les deux confessions-interview, le passage mains sales). On retrouve en tout cas une qualité de direction d’acteurs, et une énergie, à mille lieues de la catastrophe qu’étaient ses deux derniers opus sur ce plan-là (entre le casting juvénile totalement insipide du “Dernier maître de l’air”, et le fils Smith qui jouait comme une merde, on repartait de loin).

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