Beetlejuice

Beetlejuice Tim Burton / 1988

Un accident de la route envoie Adam et Barbara Maitland dans l’autre monde. Revenu hanter son antique demeure, le jeune couple la voit envahie par une riche et bruyante famille new-yorkaise.

Légers spoilers.

L’interminable déliquescence du cinéma de Burton pose la question de notre propre lassitude : ces films plus récents, qui transforment patiemment le style du réalisateur en marque déposée, nous auraient-ils autant rebutés s’ils s’étaient logés aux premiers temps de sa filmographie ? Le photocopiage a-t-il à voir avec notre désamour ? Ne découvrir Beetlejuice qu’aujourd’hui (tout arrive !), c’est d’abord l’occasion d’y reconnaître une série de scènes-modèle, que la carrière de Burton recyclera dans sa chute : le mariage entre mort et vivante devant un prêtre rabougri, ainsi que la joie d’un monde des morts aux couleurs électriques (Les Noces funèbres), la maison d’une famille huppée confrontée au fantastique, avec ado dépressive squattant le grenier (Dark Shadows), ou encore une danse de célébration pour crier victoire (Alice in Wonderland, dans la scène la plus embarrassante qu’Hollywood ait produit en vingt ans). Qu’est-ce qui s’est perdu en route ?

Le script de Beetlejuice est un contresens : le personnage cité en titre apparaît à peine un quart du film, le couple de stars meurt après cinq minutes, la temporalité se dilate à l’envie selon des règles vagues, le quotidien alterne librement avec danses ou segments oniriques… L’imagerie de la série B irrigue le film de toutes parts (décors à la fausseté assumée, effets spéciaux désuets, programmes étranges à la TV laissée allumée), mais ce qu’en retient Burton est d’abord la liberté : celle d’une narration qui fleurit moins sur un script que sur un décor (la maison hantée) et une figure (l’esprit trublion), sans se soucier d’axes scénaristiques, de motivations de personnages, et autres joyeusetés rationalistes. À l’image des jeux de maquettes et d’échelle qui le parcourent, Beetlejuice fait se croiser les tonalités, les rythmes, les priorités, en acceptant parfaitement ces paradoxes (là où sa filmographie tardive se crispera sur un système plus binaire, où l’humour ne cohabite avec le lyrisme que pour s’en excuser et le désamorcer). Plus que l’originalité des trouvailles visuelles, c’est la fraicheur perdue de cet anarchisme narratif qui émeut.

On a souvent voulu faire de Burton un peintre, car c’est là que se logent les traits les plus visibles de son cinéma : une perspective cassée, un contraste marqué, un maquillage outré – et hop, voici de quoi se réclamer de sa lignée. Or il apparaît avec le recul combien Burton est le contraire d’un maniériste : si l’expressionnisme allemand ou la série B sont pour lui un lit confortable, leurs images n’ont jamais été son souci, encore moins un enjeu. Leur maniement, l’éventuel besoin de les dépasser, de les tordre, de s’en détacher (si sensible chez les Leone, Argento, DePalma) est une problématique totalement absente de ses films, où l’héritage visuel a l’évidence d’un papier peint d’enfance. Le cinéma 90’ de Burton est au contraire le lieu d’une mise en scène au naturel cristallin, débarrassée du moindre effet d’égo ou d’épate, de la moindre afféterie (cadres ouverts, sobres, anti-picturaux), toute l’attention étant concentrée sur l’autre. L’autre, c’est à dire la personne, pas forcément aimée mais toujours regardée (priorité qui envoie valser toutes les contingences, d’où le chaos narratif des films) : sympathie profonde pour ces deux amants fades qui aimeraient qu’on les laisse être ennuyeux en paix, souci du couple pour l’ado mal dans sa peau, volonté de faire cohabiter les différents mondes dans une même maison, mort dédramatisée comme on panse une plaie.

Cette humanité du cinéma de Burton, qui n’eut de prix que parce qu’elle dut toujours négocier avec un art violent de la satire (la congrégation new-yorkaise ici, dont le kitsch acide est une autre forme de fantastique), explique pourquoi cette filmographie put parfois abandonner son carnaval visuel (Ed Wood, Big Fish…) et pourtant conserver tout son goût. C’est qu’un mouvement transcendait la manie angoissée des univers biscornus, comme en témoigne ce si beau dernier plan, coupé court comme un geste insolent, éclat libertaire où se mêlent ironie, tendresse, et exaltation : il fut encore un temps où le cinéma de Burton, aussi scarifié soit-il, était aussi une célébration de la vie.

Réactions sur “Beetlejuice Tim Burton / 1988

  1. Si le film a vieilli visuellement parlant, je trouve que ce film de Burton vieillit bien moins que Edward aux mains d’argents d’un point de vue thématiques

  2. C’est plus libre, oui (quoique le côté vaguement “punk” du film est peut-être un peu daté, en un sens). J’aime bien “Edward”, mais sans passion, il vieillit effectivement pas forcément bien : avec le recul ça fait “petit Burton illustré”, petit digest de la filmo à la poésie un peu surlignée ou affectée (quand c’est pas forcément le cas dans ses autres films)… Je l’avais découvert relativement tard, et à l’époque il m’avait déjà pas remué des masses.

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