Les Proscrits

Les Proscrits Victor Sjöström / 1918

Islande, au milieu du XIXe siècle : Kári trouve du travail chez la riche veuve Halla, dont il tombe rapidement amoureux. Mais un jour, le bailli reconnaît en Kári un voleur en fuite…

Spoilers.

La première partie des Proscrits frappe par son aridité, et son dénuement : les quelques murs d’une simple ferme, la rudesse sobre d’une plaine rocheuse, aucune concession à l’imaginaire. C’est qu’avant de plonger bras ouvert dans l’imagerie glacée des récifs, Sjöström entend bien nous apprendre comment regarder son film : le monde des Proscrits est un monde matériel. Les différents s’y règlent à la lutte, le vol y est un crime honni, et on séduit les femmes en les comparant aux montagnes : pas de transcendance, ainsi, dans le lyrisme que déchaînera le tableau des hauteurs. On est aux antipodes du beau cinéma d’Arnold Fanck : la nature, déromantisée, sécrète sa propre poésie réaliste, ne brutalisant les hommes qu’au hasard de la faim et du froid, actant du vieillissement des amours et des corps – engendrant même, le temps d’un plan furtif, ses propres fantômes. Force amorale au visage unique, même décor pour le sublime et l’horreur, qui réveille tendrement les amants à l’aube autant qu’elle peut décréter la mort d’un enfant, sans un instant chercher à lui prétendre un sens.

Il faudrait mesurer les vastes implications narratives de ce recalibrage – qui, au vu de l’œuvre de Stiller (toute aussi aride, bien que moins chantante), est peut-être simplement le crédo du muet suédois tout entier. “Il est possible de vivre hors de la loi des hommes et des cieux” : cette idée simple, qui ordonne tous les partis-pris du film, ramène les péripéties à leur part d’aléatoire (cette sublime hésitation du passage au couteau, étrangère à tout déterminisme moral), et sait rendre au monde la pureté de sa beauté concrète – les visages en gros plans, toujours spectaculaires (ils justifient à eux seuls de voir le film sur grand écran), s’admirent ici comme des paysages. On tient peut-être là, dans ce très grand film qui souffre de bien peu (tout au plus d’un acte central mielleux, et d’un trop-plein de cartons), un exemple glorieux de ce qu’aurait pu être un vrai naturalisme au cinéma, illuminé et tout puissant, célébrant la matière, plutôt que replié sur sa petite sociologie mortifère.

Berg Ejvind och hans hustru en VO.

Réactions sur “Les Proscrits Victor Sjöström / 1918

  1. Oui, y a un caractère d’évidence qui met tout le monde d’accord là je crois… J’aime bien La Charrette fantôme, mais c’est sans commune mesure.

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