Le Chevalier blanc Giacomo Gentilomo / 1957

Le jeune Siegfrid est confié à un ermite à la mort de sa mère. Devenu adulte, il forge lui-même son épée, et part combattre le dragon qui lui permettra d’acquérir l’invulnérabilité…

 

Le Chevalier blanc, pour le cinéphile, ne manque pas d’accroches : on y adapte moins la légende de Siegfried que le film de Fritz Lang (sa première partie, tout du moins), dont on devine l’héritage par de nombreux traits. Que ce soit l’importance de la forêt qu’on croirait sortie d’un studio, la poésie artisanale des effets (transparences du héros invisible, mollesse absurde du dragon carton-pâte), ou même par la figure de l’aryen – Siegfried, en bon nazi, méprise ainsi le vieillard qui l’a sauvé et élevé : « Toi, tu serais mon père ? As-tu déjà regardé ton reflet dans un torrent ! Est-ce qu’une brebis pourrait engendrer un ours ? ».

Et pourtant, malgré cet évident modèle, il n’est pas si simple d’appréhender la narration de ce petit film de rien, de comprendre la parfaite béatitude dans laquelle il plonge. La délicieuse expérience de sa vision interroge sur ce qu’il fut pour le public, à sa sortie. Comment fut réellement vécue, à l’époque, cette période molle et transitoire du cinéma de genre ? Ces années au croisement d’un cinéma classique mourant (montage et rythme pâteux, imagerie propre et fignolée, foi naïve dans les archétypes), et d’une production bis qui n’avait pas encore déchaîné ses pulsions, quand bien même on en devine çà et là l’avènement (lumière parfois digne d’un Bava, flots de sang du dragon…)

Avait-on conscience alors de la charge kitsch de ces films (Siegfried en tunique et brushing, sifflant bonjour à l’oiseau sur la branche) ? Les voyait-on comme un déclin, comme l’aplatissement du cinéma Hollywoodien ? Car c’est ici le modèle, épuisé certes, mais indéniablement prégnant (c’est d’ailleurs à cette époque qu’Hollywood envahit Cinecittà) : rien que le choix d’un Bas Moyen-Âge, clair, propre et raffiné (au contraire du monde archaïque Langien), témoigne à l’image de cette filiation. Mais pensait-on alors continuer, épuiser, ou dépasser ce cinéma ?

Dans ce flottement réside peut-être la force du film : une étrange osmose entre ce qu’il est, et ce qu’il montre. Lui aussi, comme le Moyen-Âge, est pour le regard futur une sorte d’entre-deux, une suspension entre deux moments forts du monde, comme inconscient de sa propre singularité. Un cinéma un peu absent, tout entier comme le village de Brigadoon, sagement bloqué dans l’éternité de ses traditions, glacé dans sa stabilité formelle. Cette narration neutralisée (plans calmes et statiques, souvent larges, facticité rassurante de la direction artistique) évoque même le Moyen-âge dans son art, et sa manière de raconter les histoires : cette façon de tout mettre à plat, de “résumer” (d’aligner les moments nécessaires au récit, comme sur une fresque) plutôt que de chercher la figuration réaliste, vraisemblable ou saisissante des événements.

Il n’est pas seulement question ici d’un nanar réjouissant, qu’on regarderait avec distance et tendresse. Sous le kitsch indéniable du Chevalier blanc, sous son académisme latent et sa totale absence d’ambition (qui font que j’ose à peine en conseiller la vision), il fleurit pour le spectateur patient, pour qui sait du film saisir la pensée, le rythme et le phrasé, un authentique plaisir de cinéma.

Sigfrido en VO.

 

• Soyez prévenus, le DVD français (pourtant édité par Artus Film, éditeur prommeteur) propose une copie immonde : recadrée, et extrêmement pixelisée (il faut en passer par un traitement vidéo des trames pour atténuer la chose)…
 

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